Le RGPD en danger, les doutes sur OpenAI, Apple demande l'aide de Google

Et aussi: Firefox fait de la résistance – Yann LeCun quitte Meta

Cafétech
5 min ⋅ 14/11/2025

Tous les vendredis, l’édition hebdomadaire de Cafétech vous propose un tour d’horizon des principales actus tech de la semaine écoulée.

Bonne lecture et bon week-end.


| GRAND ANGLE |

Dans la course à l’IA, Bruxelles veut faire marche arrière sur la réglementation

“Un cadeau aux géants technologiques”. Max Schrems ne décolère pas face au projet de révision du Règlement général sur la protection des données. L’objectif de Bruxelles est de favoriser, dans un contexte de compétition mondiale, l’entraînement des modèles d’intelligence artificielle générative par des entreprises européennes. “Cela constituerait une énorme régression pour la vie privée des Européens, dix ans après l’adoption du RGPD”, dénonce l’activiste autrichien, figure de la défense des droits numériques.

Le RGPD n’est pas le seul texte visé par cette volonté de simplification au profit de l’IA. Dans le paquet numérique qu’elle doit présenter la semaine prochaine, la Commission européenne prévoit également de repousser l’entrée en vigueur de certaines dispositions de l’AI Act, le cadre réglementaire adopté au printemps 2024 après d’âpres négociations. Ces propositions devront ensuite être approuvées par les États membres et par le Parlement européen – deux étapes encore loin d’être acquises.

Consentement “libre” et “éclairé”

Entré en vigueur en 2018, le RGPD est l’une des législations les plus emblématiques des Vingt-Sept. L’an passé, l’ancien président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, recommandait déjà sa refonte dans son rapport sur la compétitivité de l’UE. Sa mesure phare impose d’obtenir le consentement “libre” et “éclairé” des internautes avant d’utiliser leurs données personnelles. Une exigence pensée à l’origine pour encadrer le ciblage publicitaire, mais qui s’applique désormais aussi à l’IA générative.

Ces derniers mois, plusieurs entreprises testent les limites du RGPD. En mai, Meta a commencé à utiliser les messages et les commentaires publiés sur Facebook et Instagram pour “entraîner et améliorer” ses modèles d’IA. LinkedIn et xAI, la société d’Elon Musk qui vient de racheter l’ex-Twitter, font de même. Ces plateformes ne demandent pas le consentement. Elles invoquent le principe “d’intérêt légitime” prévu par le RGPD, en s’appuyant sur une interprétation contestée d’un avis des Cnils européennes.

L’IA devient un “intérêt légitime”

Dans son projet de révision du RGPD, obtenu par le média allemand Netzpolitik, la Commission propose de lever cette incertitude juridique, en considérant désormais l’utilisation de données personnelles pour l’entraînement d’une IA comme un “intérêt légitime”. Autrement dit, les entreprises n’auraient plus besoin du consentement préalable des utilisateurs. Leur seule obligation serait d’offrir un “droit d’opposition” – le plus souvent enfoui dans les paramètres de confidentialité et, de fait, rarement exercé.

Autre changement majeur: une redéfinition plus restrictive de la notion de “donnée personnelle”. Une information ne serait plus considérée comme telle si l’entreprise qui la collecte n’est pas en mesure d’identifier la personne concernée. Son utilisation échapperait alors au RGPD. Bruxelles propose également d’assouplir la “protection renforcée” des données sensibles. Celle-ci ne s’appliquerait plus que lorsqu’elles “révèlent directement” l’origine raciale ou ethnique, les opinions politiques, l’état de santé ou l’orientation sexuelle.

Opposition de la France

Ces changements ont été poussés par l’Allemagne, pourtant l’un des pays les plus attachés à la protection des données personnelles. À l’inverse, la France plaide pour des “modifications ciblées”, excluant toute “réouverture du RGPD”. Plusieurs autres pays, comme la Pologne et la Suède, défendent la même approche. L’Autriche, elle, écarte toute modification. L’ensemble des opposants semble pouvoir réunir une minorité de blocage au sein du Conseil européen, ce qui leur permettrait de rejeter certaines propositions de Bruxelles.

Le projet de simplification ne se limite pas au RGPD et touche également d’autres textes communautaires sur les données, comme la directive ePrivacy. Peu connue, celle-ci affecte pourtant le grand public quotidiennement: elle est à l’origine des innombrables bandeaux de consentement aux cookies sur les sites web. Constatant une “fatigue” des internautes, la Commission recommande d’assouplir les obligations sur les cookies liés aux statistiques et à la sécurité, et d’offrir des alternatives au consentement.

Assouplissement de l’AI Act

Parallèlement, un deuxième texte porte sur l’AI Act, qui impose une série d’obligations aux modèles d’IA, en particulier ceux présentant des “risques systémiques”. Certaines mesures sont déjà entrées en vigueur. Les autres le seront progressivement jusqu’en 2027. En retard sur la mise en œuvre du texte, Bruxelles propose désormais d’adapter les calendriers afin de tenir compte de “l’incertitude et difficultés liées au retard de disponibilité des normes”. Les mesures concernées et les nouvelles échéances restent à préciser.

Cette souplesse constitue un changement. Cet été, la Commission avait refusé de repousser l’entrée en vigueur de certaines règles, malgré la publication tardive du Code de bonnes pratiques destiné à aider les concepteurs à se mettre en conformité. Par ailleurs, l’exécutif européen souhaite accorder une période de grâce d’un an pour mettre en place un dispositif de marquage des contenus générés par l’IA. Il recommande également d’alléger les obligations de documentation, d’enregistrement et de surveillance.

Pour aller plus loin:
– Comment l’IA générative teste les limites du RGPD
– L’Europe refuse de reporter l’entrée en vigueur de l’AI Act


| EN BREF |

Demande de garantie de l’État: OpenAI est-il devenu “too big to fail” ?

Il n’aura fallu qu’une seule déclaration pour mettre le feu aux poudres, symbole des craintes croissantes de bulle autour de l’intelligence artificielle générative. La semaine dernière, Sarah Friar, la directrice financière d’OpenAI, a évoqué la possibilité d’une garantie de l’État américain sur l’endettement colossal que s’apprête à contracter le créateur de ChatGPT, afin de financer les investissements massifs qu’il prévoit pour décupler sa puissance de calcul au cours des prochaines années.

La responsable a rapidement fait marche arrière, affirmant s’être mal exprimée. “Nous ne voulons pas de garantie”, a renchéri Sam Altman. Si le patron d’OpenAI estime que “les contribuables ne devraient pas renflouer les entreprises qui prennent de mauvaises décisions”, cet épisode soulève une question de fond: le géant de l’IA est-il devenu too big to fail ? Autrement dit, l’État américain serait-il contraint de voler à son secours en cas de difficultés, comme il l’avait fait pour sauver les banques en 2008 ?


Pour lancer le nouveau Siri, Apple va s’appuyer sur l’IA de Google

Cela ressemble à un aveu d’échec – au moins provisoire. En difficultés dans la course à l’intelligence artificielle générative, Apple s’apprête à faire appel à Google, moyennant un chèque d’un milliard de dollars par an. Selon l’agence Bloomberg, le groupe à la pomme devrait bientôt intégrer au sein de Siri un modèle d’IA spécialement conçu par le moteur de recherche. Annoncée il y a un an et demi mais repoussée en début d’année, la nouvelle version de l’assistant vocal est désormais attendue au printemps.

Concrètement, ce modèle personnalisé de Gemini, l’IA de Google, prendra en charge les tâches les plus complexes, comme la recherche d’informations spécifiques dans les SMS ou les e-mails. Bien plus puissant que le modèle actuellement utilisé par Siri, celui-ci ne fonctionnera pas en local, mais depuis des serveurs cloud d’Apple. Une connexion Internet sera donc indispensable. Cet accord ne signe pas pour autant l’abandon des ambitions du groupe dans l’IA, malgré plusieurs départs importants vers Meta.


Firefox cherche encore sa place dans l’ère de l’intelligence artificielle générative

En intégrant le mois dernier le moteur de recherche de Perplexity AI, Firefox a réalisé un pas supplémentaire vers l’intelligence artificielle générative. Pour autant, le navigateur Internet “n’a pas l’intention de tout bouleverser”, assure Anthony Enzor-DeMeo, qui dirige Firefox chez Mozilla. Face à l’émergence de nouveaux concurrents bâtis autour d’un chatbot, comme Atlas d’OpenAI, le dirigeant affirme explorer “différentes pistes” pour répondre aux attentes de certains utilisateurs. Mais il promet aussi d’avancer avec prudence.

Et pour cause: s’il admet que l’expérience utilisateur des navigateurs a peu évolué ces dernières années, se limitant à des innovations marginales, Anthony Enzor-DeMeo ne sait pas encore si cette nouvelle façon de surfer sur Internet parviendra à s’imposer. Il pointe “une vision beaucoup plus restreinte du web”, qui se résume à fournir une réponse unique à une requête. Et s’interroge sur la viabilité du modèle économique: compte tenu de leurs coûts, ces navigateurs pourraient, selon lui, reposer à terme sur des offres payantes.


Yann LeCun s’apprête à quitter Meta pour lancer sa start-up d’IA

Pendant des années, il a incarné la recherche en intelligence artificielle chez Meta. Pourtant, Yann LeCun pourrait bien quitter la maison mère de Facebook dans les prochains mois. Selon le Financial Times, qui a révélé l’information, il aurait déjà entamé des discussions avec des fonds d’investissement pour lancer sa propre start-up spécialisée dans les “worlds models” – des modèles d’IA capables de comprendre le monde physique à partir d’images et de vidéos afin de prendre des décisions de manière autonome.

Yann LeCun est une figure majeure de l’IA. En 2018, il a rapporté le prix Turing, aux côtés notamment de Geoffrey Hinton, autre grand nom du secteur, qui a travaillé pendant des années chez Google. Il était arrivé chez Meta en 2013 pour lancer et diriger FAIR, devenu au fil des ans l’un des meilleurs laboratoires en IA. Sous sa direction, l’entreprise a pris le virage du machine learning, des algorithmes capables d’apprendre seuls, qui ont transformé ses réseaux sociaux dans la seconde moitié des années 2010.


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Crédit photos: Unsplash / Alexandre Lallemand - Wall Street Journal

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Par Jérôme Marin

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